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Lettres lusitaniennes
Lettres lusitaniennes
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24 juillet 2020

Briser les idoles

Chère lectrice, cher lecteur, bonjour,

Depuis la mort de George Floyd aux États-Unis, on assiste à des scènes qu’on n’aurait pas pu prévoir, tellement distraits que nous sommes à cause des affaires du monde tel qu’il va : le déboulonnement et le taguage des statues de personnalités illustres au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France métropolitaine ou dans les DOM-TOM, au Portugal… les gens qui taguent et déboulonnent ces statues sont des militants de la mouvance « Black Lives Matter ».

Que faut-il en penser ? Cela me rappelle un séjour que j’ai fait en Lituanie en 1997 dans le cadre d’une convention internationale de jeunes d’une durée de trois semaines. Chaque semaine, nous étions dans un endroit différent. Pendant la première semaine, les participants étaient à Kaunas, la deuxième ville du pays, logés chez l’habitant. Un jour, lorsque je me baladais en centre-ville, j’ai vu beaucoup de piédestaux vides, car on avait déboulonné toutes les statues et les symboles liés au communisme. Lorsque j’en ai parlé à mon « hôtesse », elle a haussé les épaules, en me disant que déboulonner les symboles du communisme ne servait à rien, car on ne pouvait pas effacer la période soviétique de l’histoire du pays, redevenu indépendant en 1991.

Je suis en partie d’accord avec mon « hôtesse » : déboulonner et taguer les symboles du colonialisme et de l’esclavage ne sert pas à grand-chose, car on ne peut pas changer l’Histoire ni revenir en arrière. Pourtant, s’il n’y avait pas eu ces gestes de révolte, parlerait-on des méfaits du colonialisme ? Peut-être pas, car il y a trop de personnes aveuglées par la mentalité soi-disant « civilisatrice » et « émancipatrice » des nations européennes qui ont voulu « arracher l’Afrique à l’obscurantisme », alors que les peuples africains ne nous ont rien demandé. Ces gens-là parlent encore des « bienfaits de la colonisation », tout en oubliant le côté obscur de celle-ci : l’assimilation religieuse, culturelle et linguistique forcée (l'"assimilation" est encore le maître-mot des démarches de naturalisation…), l’inégalité des statuts selon l’origine ethnique, les discriminations en tout genre, les travaux forcés (un esclavage qui ne dit pas son nom)…

Il est plus que jamais temps de faire entendre la voix des peuples colonisés et de leurs descendants, pour que l’Histoire ne se résume pas au récit des vainqueurs et intègre celui des vaincus, car plus l’Histoire est le fruit des mémoires variées et contradictoires, plus elle est riche. L’Histoire des nations est comme la vie, faite d’ombres et de lumières, de moments fondateurs et de pages noires. Fini le « Roman national », place à la complexité historique. Bien sûr qu’il faut comprendre la mentalité de chaque époque, y compris de l’époque coloniale, mais un peu de « distanciation critique » ne fait pas de mal, car, sans cette vision critique, les droits humains n’auraient jamais progressé. L’acceptation de la coexistence des mémoires plurielles est la meilleure réparation historique qu’on puisse faire, la réparation matérielle et financière ne pouvant pas réparer ni effacer le mal qui a été fait.

Ceci dit, faut-il détruire les symboles de la colonisation ? Oui. Pas en les déboulonnant, les décapitant ou les taguant, mais en les déconstruisant et en les regardant d’un œil critique. L’Histoire n’est pas une religion et les personnalités historiques ne sont pas des Saints, mais des gens comme vous et moi, avec leur part d’ombre.

Il est donc temps de briser les idoles.

Image par Clker-Free-Vector-Images sur Pixabay

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