Chère lectrice, cher lecteur, bonjour,

Ça y est, Noël arrive. Et avec cette festivité plus commerciale que spirituelle (car, bientôt, les générations futures ne sauront même pas pourquoi on fête Noël...), le folklore habituel des lumières qui décorent les maisons, les vitrines et les façades des immeubles, les pulls moches, les repas en famille, le climat de bienveillance de pacotille où tout le monde fait semblant d'être gentil et d'aimer son prochain, car, tout d'un coup, on se souvient qu'il y a des SDF et des gens démunis et on décide de leur offrir des trucs sympathiques, mais qui, au fond, ne changent pas leur vie, alors que, le reste de l'année, on s'en fout comme de l'an mille! Et oui, Noël est une époque formidable!

Je vous explique : il y a quelque temps, j'ai trouvé sur Facebook une publication qui faisait la publicité d'une initiative plutôt sympatique, mais qui, au fond, n'apporte aucune solution perenne et digne de ce nom : les boîtes de Noël. Dans ces boîtes, il fallait déposer :

- un vêtement chaud,

- un produit de beauté (une crème hydratante, par exemple),

- un produit de loisir (un livre, par exemple),

- un mot doux,

- une petite gourmandise

Sympa, n'est-ce pas ? Déjà, pour le produit de beauté, il faudrait déjà que les SDF puissent trouver un endroit où se doucher et que les plus démunis qui vivent dans des logements insalubres aient une salle de bain décente pour se laver. Pour le vêtement chaud, pourquoi pas ? Ça sert toujours, bien que cela ne fasse pas disparaître la sensation de froid spirituel et affectif qu'on peut ressentir dans ces conditions. Pareil pour les mots doux. Pour les produits de loisir, comme les livres, déjà il faudra que les "heureux bénéficiaires" aiment ou sachent lire car, franchement, cette idée de la lecture comme source de consolation de tous les maux me semble un fantasme d'intellectuel aisé et oisif. Et que dire de la petite gourmandise? Sympa, mais, à la fin, il n'y a que le goût du vide.

On me dira que c'est mieux que de ne rien faire (moi aussi j'apporte mes vêtements chez Emmaüs), mais cela ne va pas changer la vie aux plus démunis. Cela ne suffit pas. Franchement, dire que c'est "mieux que rien" est une véritable insulte à ceux qui vivent dans le besoin. Qu'est-ce que c'est que cette société qui délègue l'aide sociale aux associations et qui la réduit à la charité ? Que fait l'État ? On a beau parler de solidarité mais j'aimerais savoir ce que fait l'État de nos impôts, qui devraient servir aussi à aider les plus démunis, à les sortir de la pauvreté, voire de la misère, pour pouvoir vivre dans un logement décent, exercer un métier dans des conditions de travail et de rémunération dignes, avoir accès à la culture et aux loisirs, ceci sans dépendre de la charité d'autrui. Quand je vois que les plus démunis sont réduits à vivre de la charité, car l'État ne fait pas assez, je me dis qu'on va droit dans le mur.

Je suis issue d'une famille modeste de la classe ouvrière, avec des origines paysannes. Fort heureusement, ma famille et moi, nous n'avons jamais manqué de rien. Mes parents n'ont jamais eu besoin d'aide pour nous nourrir (mes deux sœurs et moi), pour nous habiller, pour aller à l'école (à part des allocations familiales) et pour nous acheter des jouets (pas les plus chers, car ce n'était pas possible). Par contre, mes parents ne pouvaient pas se permettre certains luxes, comme partir en vacances (dans le meilleur des cas, mes sœurs et moi, nous passions quelques jours chez mes grands-parents maternels à la campagne ou chez une tante du côté parternel, dans le Sud du pays), une voiture (car pas d'endroit où la garer) et, pour les produits de beauté, une boîte de crème Nivea suffisait, y compris comme protecteur solaire quand on allait à la plage. Les crèmes hydratantes, les parfums, les rouges à lèvres ou les séances d'épilation chez une esthéticienne étaient des frivolités réservées aux bourgeois, pas aux familles de la classe ouvrière comme la mienne. De plus, je sais ce que c'est de vivre dans un logement pourri. Jusqu'à mes 19 ans, ma famille et moi (nous étions cinq), nous avons vécu dans un appartement tout juste bon pour deux personnes grand maximum, Avec une petite salle de bain sans baignoire où on se douchait au milieu de la pièce et une loggia dont les fenêtres en bois étaient abîmées par les intempéries, laissant entrer le froid et, parfois, la pluie (heureusement mon père a pu faire des travaux, car il est charpentier, mais quand même). Mes parents n'ont pas pu suivre des études et ils ont dû travailler dès l'adolescence. Ma mère a dû quitter son village pour travailler à Lisbonne comme domestique, comme tant de filles de son âge, voire plus jeunes. Comme quoi, s'ils avaient eu un gentil parrain ou une gentille marraine prêts à leur payer les études, ils auraient pu aller loin, très loin dans la vie. Sauf que non. Car l'État Providence n'existait pas au Portugalet. Par conséquent, l'accès à une scolarité complète, au delà de l'école primaire, était réservé aux plus privilégiés.

Pour ma part, j'ai pu faire des études. Grâce à qui et à quoi ? À l'État Providence, pas grâce à la charité d'autrui. Voilà pourquoi je critique ces initiatives certes sympathiques, mais qui n'améliorent pas la vie des plus démunis. Je ne suis pas née avec une cuillère d'argent dans la bouche. La pauvreté, je sais ce que c'est.

Mais comment faire comprendre cela à certaines personnes? Déjà, on m'a traité d'insensible et d'égoïste, car je suis contre cette charité qui me rappelle les "œuvres de bienfaisance" des gentilles bourgeoises à l'époque de la dictature de Salazar, au Portugal. On m"a déjà demandé pourquoi je ne m'engageais dans la politique. Franchement, dites-moi : quand on voit le cilmat politique actuel en France, avec deux candidats d'extrême-droite, une droite qui court derrière l'extrême-droite et une gauche qui ne sait pas où elle va, est-ce que cela donne envie de s'engager dans la politique? Il faut être naïf... ou alors un opportuniste sans aucun talent, sauf à gravir les échelons en piétinant les autres. On m'a déjà demandé pourquoi je ne m'engageais pas dans le bénévolat. Pourquoi pas? Sauf que, sans retirer le mérite aux associations de solidarité sociale, ce qu'elles font me semble des actions purement palliatives. C'est comme mettre un pansement sur une jambe en bois.

Que faut-il faire alors ? C'est vrai, ne rien faire, laisser les plus démunir dans la merde est criminel. Cependant, ils ont besoin de plus, beaucoup plus. Ils ont besoin d'un véritable accompagnement social et psychologique, afin qu'ils puissent s'insérer dans le marché du travail et retrouver une vie digne. Les exemples ne manquent pas. Connaissez-vous le réseau LinkedOut ? Il ressemble à LinkedIn, mais il aide les plus démunis à mettre un pied à l'étrier pour s'insérer dans le marché du travail malgré leurs parcours professionnels parfois chaotiques. Au Portugal, il y a un autre exemple qui mérite d'être mentionné : l'association Cais. Cette association a créé un magazine, qui est vendu dans la rue par des gens qui vivent dans la précarité. Les vendeurs doivent suivre un code déothologique très strict (ne pas faire la manche, par exemple). 80% du chiffre d'affaires des ventes des magasins appartient aux vendeurs, tandis que les 20% restants appartiennent à l'association. Les résultats ? Beaucoup de vendeurs ont réussi à trouver un logement et un emploi.

Conclusion : il faut donner le poisson aux plus démunis MAIS AUSSI leur apprendre à pêcher.

Sur ce, joyeuses fêtes à tous.

Image par 1820796 sur Pixabay

Mieux que rien?

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