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Lettres lusitaniennes
Lettres lusitaniennes
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10 juin 2020

Le privilège blanc

Chère lectrice, cher lecteur, bonjour,

Pendant ces derniers jours, il y a eu plusieurs manifestations partout dans le monde en hommage à George Floyd et contre les violences policières et racistes. Dans certaines manifestations, on trouvait des affiches qui évoquaient le « privilège blanc », ce qui a choqué certaines « têtes bien pensantes ».

Comme quoi, il y aurait un « privilège blanc » ? De quoi s’agit-il ? C’est très simple : indépendamment de sa catégorie sociale, un blanc ne subit pas de contrôles d’identité à répétition, peut entrer dans une boutique de luxe sans qu’on le regarde de travers et sans être suivi par le vigile de service et il risque moins de subir la discrimination dans l’accès à l’emploi et au logement. Certes, on pourra objecter qu’il y a aussi des non-blancs riches et privilégiés. Certes, mais, il faut comparer ce qui est comparable, c’est-à-dire, un ouvrier blanc et un ouvrier noir ou Arabe ou un cadre blanc et un cadre noir ou Arabe. Et vous verrez que, souvent, le blanc est privilégié par rapport au non-blanc, qu’il soit un cadre ou un ouvrier ou une femme de ménage (y compris les ouvriers portugais et les femmes de ménage portugaises).

En ce qui me concerne, oui, je suis une privilégiée. Je n’ai jamais subi ce que beaucoup de noirs ou arabes subissent. À part la question stupide sur ma carte de séjour (dont je n’ai plus besoin, fort heureusement), je n’ai jamais fait objet d’un contrôle d’identité. Je n’ai jamais non plus subi des regards de travers lorsque j’entre dans une boutique. Bref, on me fout une paix royale. Pourquoi ? Parce que je suis blanche et j’ai un physique passe-partout.

Et pourtant… dès que j’ouvre la bouche, j’ai parfois droit à des remarques déplacées sur mon soi-disant accent et à des questions limite inquisitrices sur mes origines, comme si cela était important. Et si, lors d’une conversation, je parle de mes origines, j’ai aussi droit aux sempiternelles remarques du genre « ma femme de ménage est portugaise », mais aussi à des blagues sur les Portugais, suivies de remarques tout aussi consternantes sur les Portugais travailleurs et tranquilles, qui ne font pas d’histoires – comme si mes interlocuteurs voulaient s’excuser de leur manque de politesse, alors qu’il leur suffirait de la fermer, tout simplement. J’ai aussi subi des entretiens d’embauche humiliants, où l’on mettait en cause mes qualifications, malgré mon CV et mes diplômes portugais, bien qu’ils aient traduits en bonne et due forme en français par un traducteur assermenté établi en France. Ce n'est pas forcément intentionnel, certes, mais cela fait mal. Très mal.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on peut être blanc et subir le racisme, surtout lorsqu’on est né dans un pays plus pauvre que son pays d’accueil. Quand on vient d’un pays plus pauvre, on nous regarde de haut, comme si nous étions des attardés ou des enfants qu’on doit tenir en laisse, pour qu’ils ne fassent pas d’histoires. On se moque de notre accent, de notre physique, de notre façon de s’habiller, on met en doute nos compétences intellectuelles, bref, on nous infériorise et essentialise, bien qu’on soit aussi Européens et de « bons chrétiens ». En effet, l’histoire de la France est pleine d’épisodes tragiques liés à l’immigration européenne : le massacre des Italiens à Aigues-Mortes en 1895, l’isolement des réfugiés Espagnols dans des camps à Argelès-sur-Mer, Rivesaltes ou Bram entre 1939 et 1945, sans parler des Portugais qui vivaient dans des bidonvilles à Champigny-sur-Marne. Au Portugal, c’est pareil : on accueille volontiers les ressortissants des pays de l’Union européenne plutôt que les Ukrainiens, les Russes, les Roumains ou les Moldaves – il y a quelques mois, un Ukrainien a été tabassé à mort dans les locaux du Service des étrangers de l’aéroport de Lisbonne. Voilà où l’on est.

Cependant, il ne faut pas faire un concours de victimisation, car toutes formes de racisme et de discrimination doivent être condamnées, quelle que soit l’origine des victimes. Ce qu’il faut faire, c’est d’arrêter de se regarder le nombril communautariste et se rassembler contre les racistes de tout poil.

Autrement, on va droit dans le mur et rien ne changera.

Image par mmi9 sur Pixabay

Image par mmi9 sur Pixabay

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